« Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme. » Cette parole du Christ peut éclairer l’épreuve que nous traversons. Le confinement fut décrété pour des motifs de santé publique, pour que justement les corps ne périssent pas. La relecture de ces événements doit être faite du point de vue spirituel.
« Ne craignez pas ceux qui tuent le corps. » Quand cette parole du Christ est rapportée par St Matthieu, elle concerne le début des persécutions dont les premiers Chrétiens sont victimes. Cela ne concerne pas immédiatement une politique de santé publique. Jésus est venu ouvrir le monde à l’éternité et vaincre la mort. Les premiers Chrétiens se distinguaient de leurs contemporains non par un mépris de la vie mais par un mépris de la mort. Ils vivaient dans une conscience quasi immédiate de la promesse d’éternité. « Père, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » Cette conscience de la vie éternelle et leur acceptation de l’imitation du Christ souffrant ont bouleversé leur rapport au monde et donné aux Chrétiens une invincible liberté qui a révélé aux hommes leur dignité éternelle.
La crise sanitaire a placé au premier plan la sauvegarde de la santé des personnes et donc de leur corps. Cette priorité de la santé a pu se faire aux dépens de l’accompagnement spirituel des malades, des mourants et des familles des défunts. Dès le début, les aumôniers (prêtres et laïcs) des hôpitaux ont été écartés de l’accompagnement des malades en même temps que les familles. Par ailleurs, des entreprises de pompes funèbres ont argué de la restriction des déplacements pour dire qu’il était interdit de se rendre aux obsèques ! S’il ne faut pas chercher là une persécution de l’Église, cela révèle une conception complétement matérialiste de la vie et des personnes, réduites à leur seule santé biologique. A l’exception notable des services de soins palliatifs, l’éloignement des familles a privé les malades et les mourants de ces liens précieux qui sont la vie. L’éloignement des aumôniers a privé les malades et les mourants des secours de la communauté croyante. Certes, l’isolement des malades était motivé par le souci de les protéger, l’intention était louable mais la concrétisation fut le redoublement de l’épreuve qu’ils traversaient.
Dans les maisons de retraite, l’isolement a été mis en œuvre dans le même objectif avec des conséquences douloureuses. La protection sanitaire de la vie s’est faite au détriment du sens de la vie. On aura constaté que le coronavirus n’était pas moins dangereux que la violence de l’isolement. Le syndrome de glissement consécutif est ainsi à ajouter au bilan des victimes de la pandémie. L’enjeu est quand même d’être vivant au moment de mourir.
Bien plus que la suspension du culte public qui a été consenti dans son principe (même si son étendu a donné lieu à quelques tensions), l’éloignement des aumôniers et des familles témoignent outre de la réduction de la vie à la santé, de la perte du sens de la personne comme un être de relations, des relations de la personne comme déploiement de sa vie. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » St Jean nous dit ici que la solitude est plus grave que la mort.
La crise sanitaire a porté un degré extrême des tendances de fond qui traverse notre société depuis plusieurs décennies. Faut-il ajouter des années à la vie ou de la vie aux années ? Cela résume cette question difficile d’autant plus que l’efficacité de la médecine, dont nous nous réjouissons, repousse bien des limites.
L’Église est soucieuse des malades et de leur santé mais elle a la mission d’ouvrir les personnes à une compréhension relationnelle et spirituelle de leur existence. Les œuvres de miséricorde corporelle s’articulent aux œuvres de miséricorde spirituelle. Notre tâche de Chrétiens en ce monde tient au service de l’un et de l’autre pour que tous découvrent qu’ils ont une âme et qu’ils sont appelés dès maintenant à la vie éternelle.