LA PAROISSE

Passer des ténèbres à la Lumière

Dimanche de Pâques 2021

4 avril 2021
Frères, si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?

Chers frères et sœurs,
Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité !

Je ne sais pas comment vous accueillez cette bonne nouvelle du matin de Pâques… C’est un refrain qui revient tous les ans, et nous courrons toujours le risque de trop nous y habituer. Pourtant chaque année, c’est une nouvelle, une bonne ‘nouvelle’, qui a toujours quelque chose de radicalement nouveau ! Et cette année particulièrement, nous pouvons nous réjouir sincèrement, profondément, de ce renouvellement que Dieu nous a promis et qu’il nous donne ! Pourquoi cette année particulièrement ? Le carême est toujours un temps d’épreuve, mais cette année nous avons été gâtés… Cette pandémie qui n’en finit pas, rythmée par les confinements qui fatiguent les corps et les âmes et exacerbent bien des tensions dans les foyers ; cette atmosphère de peur, d’insécurité, sanitaire mais aussi sociale, à la perspective des conséquences de l’arrêt de toute la société ; la prolifération des violences, des injustices qui abîment le tissu social et semblent rendre illusoire toute recherche du bien commun. Qui plus est, les scandales affectant la vie de l’Église, et dont il semble que nous ne sortons jamais, nous ont fait prendre conscience, douloureusement, que le trésor de l’Évangile est confié à des vases fragiles ; les péchés, les crimes, parfois la tiédeur de ceux qui devraient être au service du peuple de Dieu nous a blessé, et a meurtri notre confiance en l’Église, en sa capacité d’être vraiment le Corps du Christ où le Salut est annoncé et réalisé. A cela se sont peut-être ajoutées des épreuves personnelles : blessures familiales, difficultés professionnelle, soucis de santé… Peut-être avons-nous fait aussi, pendant ce carême, une expérience plus profonde de notre propre médiocrité, de notre difficulté à offrir de vrais efforts de conversion et de pénitence ; peut-être avons-nous compris que ces ténèbres s’enracinent aussi dans notre péché personnel, dans notre difficulté à être des saints alors que seule notre sainteté pourrait illuminer l’Église et le monde ?

Pardonnez-moi ce tableau bien peu sombre pour un matin que devrait éclairer la radieuse lumière de la résurrection. Mais nous avons entendu dans l’Évangile que lorsque Marie Madeleine se rend au tombeau, c’était encore les ténèbres. Et peut-être en sommes-nous un peu là en ce moment : les ténèbres sont encore bien épaisses, nous ne percevons pas facilement la lumière pascale et le bouleversement qu’elle apporte dans notre monde. Comment croire au milieu des ténèbres que Christ est vraiment ressuscité ? Comment croire, alors que le péché et la mort semblent avoir gagné, que la victoire du Christ est déjà remportée, qu’elle agit aujourd’hui en nous et dans notre monde ? Comment croire qu’aujourd’hui, Jésus ressuscité vient me recréer, me donner sa vie, me chercher dans mes ténèbre pour me dire : « Moi, je suis la vie des morts, et je ne t’ai pas créé pour que tu sois captif du séjour des morts » ? Comment croire que Jésus, aujourd’hui, vient nous chercher comme il est allé chercher Adam aux enfers, et qu’il nous dit : « Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera ». Sommes-nous prêts, malgré les apparences d’un monde qui semble dans les ténèbres, à laisser le Christ illuminer notre regard et nous éveiller à la foi dans un Salut déjà offert ?
Car il ne s’agit pas seulement de croire en l’évènement historique de la résurrection, certes incompréhensible pour la pensée scientifique mais qui n’a rien d’irrationnel lorsqu’on croit en Dieu, maître de la vie et de la mort. Ce qui est peut-être plus difficile à croire pour nous, c’est que cet événement traverse l’histoire, qu’il nous transforme aujourd’hui en nous donnant déjà la vie éternelle ! Ce qu’il nous faut croire pourtant, c’est qu’aujourd’hui même, Jésus va transformer Soline, baptisée dans quelques instants, pour l’engendrer à une vie nouvelle d’enfant de Dieu ; mais que nous aussi, le Seigneur nous recrée aujourd’hui-même en renouvelant en nous la grâce de notre baptême ! Alors se pose pour nous cette question, pas si différente de celle des premiers disciples le matin de Pâque : comment croire quand tout semble perdu ?
Pour eux aussi les ténèbres étaient écrasantes : jusqu’à ce matin de Pâque, « les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscité d’entre les morts ». Comment sont-ils passés de ces ténèbres à la lumière de la résurrection ? Mettons-nous donc dans les pas de saint Jean, le disciple que Jésus aimait : l’évangile nous dit qu’« il vit et il crut ». Comment a-t-il fait pour croire ? Trois attitudes nous permettent d’imiter sa démarche : il accueille l’annonce de Marie-Madeleine ; il court au tombeau ; il attend Pierre pour rentrer dans le tombeau. D’abord, Jean accueille l’annonce de Marie-Madeleine : elle est le premier témoin, même sans tout comprendre. Elle n’a pas encore fait l’expérience du ressuscité, elle annonce un simple fait, pas encore très convaincant ; pourtant son témoignage est décisif. Jean et Pierre accueillent ce témoignage, ils se laissent mettre en mouvement par cette annonce. Ils auraient pu se morfondre dans leur bulle de tristesse, rester anéantis par le chagrin, mais ils se laissent rejoindre par le signe de Madeleine, par son témoignage si peu convaincant. Et ils décident d’aller voir par eux-mêmes. Nous-mêmes pouvons avoir cette tentation de nous morfondre : les ténèbres semblent parfois écrasantes, les situations désespérantes, les peines accablantes. Et cela peut nous enfermer à notre tour dans une bulle de tristesse, et nous empêcher d’être disponibles pour accueillir ces petits signes de la présence du ressuscité : oh, pas des grands témoignages, de grandes expériences mystiques, mais de simples détails qui semblent insignifiants et qui pourtant, si nous les laissons traverser notre carapace, si nous les laissons entrer dans notre bulle, peuvent nous conduire au Christ ressuscité ; ce sont les gestes d’amour dont nous sommes témoins au quotidien, les humbles prières de nos proches, le cierge allumé dans une Église par cet ami que nous pensions éloigné de Dieu… Avons-nous le cœur assez ouvert pour percevoir les signes du ressuscité, sommes-nous capables de nous laisser mettre en mouvement par eux ?
Ensuite, Jean court, il court même plus vite que Pierre. Il a ce désir brûlant qui le presse, il veut en savoir plus. Le chagrin est derrière lui, et il n’écoute plus que cette soif et cette espérance qui le poussent. Il court au tombeau, il court à perdre haleine, laissant derrière lui Pierre… Il n’a pas peur du regard des moqueurs qui sourient à la vue de cette espérance qui semble si folle lorsqu’on est résigné. Et nous, quelle est notre soif de rencontrer le ressuscité ? Peut-être notre difficulté à croire, à nous réjouir de la résurrection du Christ vient-elle de la faiblesse de notre désir de Dieu ? Quelle est notre spontanéité à chercher le Seigneur, à le rencontrer dans ses sacrements, dans sa Parole, dans nos frères les plus pauvres ? Nous sommes souvent entravés dans cette course par le souci du regard du monde : que vont penser ma famille, mes amis, mes collègues, en me voyant si joyeux à cause d’un évènement apparemment si dérisoire ? Pourtant le Seigneur se révèle aux petits et par les humbles, ceux qui sont fous de la folie de Dieu qui est plus sage que la sagesse de ce monde. Comme Jean, apprenons à courir à perdre haleine. Enfin, Jean a beau arriver en premier au tombeau, il attend Pierre pour y rentrer. Jean pourrait mépriser Pierre : après tout, il a renié Jésus tandis que Jean, lui, est resté, fidèle, au pied de la croix. Mais le disciple bien aimé sait aussi que Pierre a reçu de Jésus une place particulière, qu’il représente toute l’Église dont il est le gardien de l’unité. Et il ne fait donc rien sans l’appui du chef des Apôtres. Même s’il pressent déjà ce qu’il va voir et comprendre dans le tombeau, il sait que l’autorité de Pierre doit venir authentifier cette révélation. Certes, la foi de Jean ne repose pas sur Pierre, mais Pierre est le garant de cette foi qui vient du Christ. Et nous, quel est notre rapport à l’Église ? Nous pourrions mépriser certains de nos pasteurs pour leurs péchés, leurs erreurs, leur tiédeur, et juger que notre foi se passe très bien de l’Église dans sa dimension d’institution. Mais nous nous couperions alors de cette autorité instituée par Jésus pour objectiver, confirmer et nourrir notre foi. Comme Jean sait faire la distinction entre le reniement de Pierre et la mission qui lui a été confiée par Jésus, il nous faut apprendre à faire la part des choses entre les péchés de ceux qui gouvernent l’Église et leur enseignement qui vient de Dieu. N’oublions pas que la foi que nous recevons, que nous professons, qui nous sauve, n’est pas seulement une relation intime et sentimentale avec le Seigneur : elle est aussi une connaissance communautaire de Dieu, professée dans le credo, que nous allons réaffirmer après le baptême de Soline, connaissance transmise par l’Église qui en garantit l’authenticité et nous préserve des erreurs ! Pour discerner la présence agissante du ressuscité dans nos vies et pour nous en réjouir, nous avons besoin de cette Église qui nous a donné la vie éternelle de la part de Dieu et qui continue à la nourrir en nous par les sacrements et son enseignement. Sachons donc faire la part des choses entre les pasteurs, vases fragiles et indignes, et le trésor qu’ils contiennent sans le mériter mais qui a besoin d’eux pour être donné au monde.
Alors aujourd’hui, tous, nous sortons du tombeau : ce tombeau est notre tombeau, car encore une fois, par le renouvellement de notre baptême, nous y sommes morts avec Jésus pour en ressortir avec lui, brillant d’une vie nouvelle. Comme Soline qui va recevoir cette vie éternelle, nous allons ressortir, porteurs d’une lumière nouvelle. Qu’est-ce qui va changer ? En apparence, rien ; en réalité, tout. Pour Jean, c’est sa vie même, comme celle de tous les disciples de Jésus, qui a changé d’une manière radicale, bien qu’imperceptible aux yeux du monde. Les disciples de Jésus, par leur zèle apostolique, par leur joie, par leur amour brûlant pourles hommes, par le don de leur vie jusque dans le martyr, ont changé le monde. Nous en sommes, à notre tour, deux millénaires plus tard, les témoins et les bénéficiaires. Et nous comprenons alors que, pour que la lumière de Pâque illumine nos ténèbres et transforme notre vie, il nous faut être nous-mêmes les porteurs de cette lumière. N’attendons pas que tout aille bien pour annoncer la résurrection : c’est en laissant cette lumière qui nous habite traverser les ténèbres de l’intérieur pour illuminer le monde, et non en croyant qu’elle va venir dissiper les ténèbres de l’extérieur, que nous ferons une véritable expérience de la résurrection qui nous est donnée ici-bas, et dès maintenant dans l’eucharistie que nous allons célébrer. Amen.

Abbé Gabriel Rougevin-Baville, Vicaire paroissial