Voici que vient le jour du seigneur nous avertit Malachie dans la première lecture, en résonnance avec les paroles terribles de l’évangile. Ce jour du Seigneur qui ne laissera pas pierre sur pierres va éclore après des moments apocalyptiques. Serait-ce que ces belles pierres du temple que les artistes ont ouvragées de tout leur cœur disparaîtront ?
C’est un peu court. Le texte dit beaucoup plus et paradoxalement il s’adresse aux artistes. C’est un appel à L’inspiration qui nous permet de mettre en oeuvre l’art que nous pratiquons est un don gratuit de Dieu, par la capacité en nous de créer ou d’interpréter. Ce don cette capacité est une grâce qui va au-delà de la matérialité de l’oeuvre qu’elle soit sonore, picturale, corporelle, écrite. Jouez pour le Seigneur la harpe et la cithare car il vient. Cet appel du jour du Seigneur c’est le travail de l’artiste. Au son de la trompette et du tambour acclamez le car il vient ! Cet appel du Seigneur vous est adressé, il constitue votre vocation même puisque le terme même de vocation, vocare signifie en latin appeler. Et cette vocation elle relève du témoignage véritable sens du martyr c’est paradoxalement par les prédictions apocalyptiques que Jésus vous appelle car par votre art vous avez à annoncer, à montrer, à danser à dénoncer ce qui enlaidit le monde et le menace sans cesse d’extinction, vous avez à annoncer la Beauté qui sauve, vous avez à la servir, à être serviteurs de la Beauté Vous voyez là l’importance de ce que vous êtes, de ce que vous faites, vous avez la responsabilité en répondant à l’appel que Jésus fait dans cet évangile de traduire par votre art, par votre talent les signes des temps, les contradictions des temps, les joies, les souffrances et les angoisses mais surtout de révéler la Beauté, qui est le langage de la Sagesse que le Christ vous donne : c’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse. Voici que vient le jour du Seigneur c’est ce que dit le peintre en caressant la toile du pinceau c’est ce que dit le musicien en pinçant les cordes de la harpe , c’est ce que dit le
danseur par son corps voici que vient le jour du Seigneur et ce jour est terrible non pas dans un sens négatif et dévastateur mais dans le sens de ce repos, ce shabbat qui irradie de paix, et qui transfigure tout. En allant plus loin en dépassant le sens littéral cet évangile ouvre sur les tourments intérieurs de la création, les violences de la créations, les contradictions et les affres. Si l’on rapporte ces descriptions apocalyptiques à la vie intérieures il y aura des grands tremblements de terre etc il s’agit bien du tourment intérieur, du doute qui nous tient hors de nous même qui trouble notre conscience au point de perdre pied. Mais ce tourment n’est pas celui d’un enfer mais plutôt celui d une éclosion, de la naissance de l’oeuvre, de la réalisation d’un spectacle, d’un tour de chant ou d’un ballet on peut de fait se sentir maudit persécuté mais si l’on reste fidèle à l’appel au voici que vient le jour du Seigneur c’est le Seigneur lui même qui donne le fruit, la fruition comme dit Ruysbroeck
à propos des poèmes d’Hadewijch d’Anvers. Cette fruition viendra parce le seigneur donne à l’artiste le langage de la sagesse et le souffle nécessaire. L’artiste est appelé à annoncer par son oeuvre le « voici que vient le jour du Seigneur » et c’est lorsque nous avons à faire à un artiste sérieux une question brûlante une question de vie ou de mort comme le dit Rainer Maria Rilke dans son conseil à un jeune poète si écrire pour toi n’est pas une question de vie ou de mort tu n’es pas un artiste. Vous vous rendez compte de l’enjeu l’appel de Dieu engendre cet engagement de donner sa vie pour son art parce que cet art est don d’amour pour les autres, c’est un sacrifice d’amour. Il ne faut pas faire semblant et saint Paul dans la deuxième lecture le confirme au boulot ! que celui qui ne travaille pas ne mange pas c’est à dire que l’art n’est pas tout cuit, ce n’est pas du quiétisme, c’est une véritable mise en oeuvre et même avec la grâce de Dieu ça ne se fait pas tout seul demandez au peintre, demandez au sculpteur demandez au danseur et au musicien, il faut mouiller sa chemise, il faut transpirer sa petite passion pour annoncer que le jour du seigneur vient sinon celui qui regardera ou écoutera votre oeuvre n’y croira pas. Oui c’est joli non il faut que ce soit le beau Il y a encore une chose qui mérite dans cet évangile : prenez garde de ne pas vous laisser
égarer, égarer loin de la voie est le sens du grec de planao . C’est intéressant par rapport à ce qu’on vient de dire l’appel de l’artiste à annoncer que le jour du Seigneur vient doit être discerné, il doit faire attention de ne pas prendre un mauvais chemin, et de n être attentif qu’ à l’appel de l’argent ou de la gloire, s’égarer c’est perdre le sens, la finalité de ce que l’on fait. Les même qui construisirent le mobilier de la tente de la rencontre en présence de Moïse lorsque celui ci s’en va sur la montagne sculptent le veau d’or. Tout en disant : voici que vient le jour du Seigneur. Suivre sincèrement l’appel du Seigneur nous met en contradiction avec le monde et avec l’aspect commercial. Mais le Seigneur si l’on persévère ne nous laisse pas tomber. Facile à dire mais en fait ce qui ressort de tout ça c’est que le travail de l’artiste à une visée eschatologique, c’est un mot savant mais il n’y en a pas d’autre pour définir la vie éternelle. Cette annonce du jour du seigneur est résurrectionnelle elle annonce le shabat éternel cette lumière qui nous permettra de peindre sans lampe ou de jouer sans micro. Même si comme le dit le début de l’évangile les pierres seront démolies c’est à dire que même si la matérialité de notre oeuvre disparaît il restera le tracé de lumière qui invite à demeurer dans le jour du Seigneur et d’aider notre prochain à y parvenir par trois notes de violon, trois couleurs ou trois pas de danse. Et là vous pourrez dire merci !