LA BASILIQUE

Le don du temps

15 déc. Avent 3

Nous disons souvent que nous perdons notre temps ! Mais il y a plus grave que de perdre son temps, c’est de perdre le sens du temps, ne plus comprendre que le temps à prendre appartient à notre condition. Notre époque, à travers chacun de nous, est plus qu’une époque impatiente, une époque qui s’imagine dans l’instantané.

 

 

L’impatience a toujours marqué les hommes, ce n’est pas nouveau : et peut-être Jean-Baptiste, dans l’épreuve de la prison où il était plongé, a-t-il perdu patience. Es-tu celui qui doit venir ou devons nous en attendre un autre ? Mais aujourd’hui, il semblerait que nous n’ayons pas même la patience de JB, ni même de la patience tout simplement.

Comme St Jacques l’évoque, dans une société agricole, avec les paysans, tous savaient que la nature impose son temps et son rythme à l’homme. Mais nous ne sommes plus dans une société agricole, nous sommes dans l’ère post-industrielle, où l’homme veut imposer son temps à la nature ! Hier, on économisait sou après sou avant d’acheter. Aujourd’hui, grâce au crédit, on anticipe les achats sans plus attendre. Hier, la Poste livrait le courrier le lendemain ou le surlendemain ; aujourd’hui, l’échange des mails est quasi immédiat jusqu’au bout du monde. Dans les média, l’information n’est plus le récit de ce qui s’est passé mais l’annonce de ce qui se passera ! Si on ne perd plus de temps, on perd le sens du temps et on risque de perdre le sens du réel.

Le temps n’est pas simplement une donnée abstraite, une mesure arbitraire, c’est un chemin d’humanisation. C’est un chemin pour intégrer la nature qui nous constitue et le monde qui nous entoure ; pour découvrir les profondeurs de notre propre personnalité et les potentialités de ce monde. Nous apprenons à nous connaître de l’intérieur lorsque nous sommes confrontés (parfois humiliés) à la nécessité d’attendre. Combien de fois l’attente imposée a-t-elle ouvert la réflexion ? Combien de projets d’étude ont été construits sur les « Tu comprendras plus tard ! » de l’enfance ? Savoir qu’un perfectionnement est possible n’est-il pas le fruit du temps ? L’intelligence et la sagesse ne sont-elles pas engendrées par le temps ?

Du temps nous est nécessaire pour assimiler la complexité de ce monde et des comportements humains et sociaux. Seul ce temps vécu, l’expérience, procure un savoir-faire et un savoir-vivre trempés dans le temps qui passe.

Quand Jésus nous fait attendre, il nous réintroduit dans le réel : pour que nous nous connaissions nous-mêmes de l’intérieur ; pour que nous apprenions à reconnaître les signes qu’Il nous envoie et que l’impatience nous ferait manquer. Il faut du temps pour se défaire de notre propre volonté et plus de temps encore, pour apprendre à reconnaitre les chemins que le Seigneur vient emprunter. Jésus nous apprend à entrer dans le rythme de Dieu et à ne pas chercher à Lui imposer le nôtre. La question du temps – l’heure favorable – traversera l’évangile et Jésus rappellera de nombreuses fois qu’Il est le maître des temps et de l’histoire. Il accorde à chacun sa place et sa dignité dans l’histoire : Jean-Baptiste humilié et jeté en prison – où l’on fait plus qu’ailleurs l’expérience de la longueur du temps – est révélé comme le plus grand des enfants des hommes. Le temps que le Christ prend et qu’il nous donne ainsi, est pour accorder notre rythme à celui de Dieu.

 

Prendre le temps chaque semaine de célébrer l’Eucharistie nous plonge dans cet apprentissage et nous ouvre à l’accueil de Celui qui vient prendre son temps parmi nous pour que nous accédions à son éternité. Amen.