Chers frères et sœurs,
Commençons par une petite histoire.
Jeune, j’ai joué du violon pendant huit ans. Les trois premières années j’y suis allé avec un grand plaisir. Les cinq autres c’était pour le plaisir… de mes parents. Alors je ne vais pas vous cacher que cela ne m’enthousiasmait guerre. En plus, aux cours habituels de solfège, de l’histoire de la musique et du violon, s’ajoutait l’obligation de jouer dans l’orchestre de l’école lors des concerts. Les répétitions étaient toujours très laborieuses. En tout cas pour moi. Paresseux, presque tout le temps je me faisais gronder. Pour éviter de me faire remonter en permanence les bretelles, j’avais trouvé une astuce imparable : en fait, il suffisait que je fasse semblant de jouer sans toucher les cordes. Et comme aucun son ne sortait de mon instrument, ni bonne ni fausse note, personne ne me disait rien. Au bout du compte, le chef d’orchestre s’en est aperçu et comprit que je ne servais à rien. Et vu ma mauvaise foi ainsi que mon manque de motivation, les profs ont baissé les bras et m’ont dispensé des concerts.
Je sais, ce n’est pas très amusant comme histoire, mais croyez moi, cela m’a servi de leçon pour des choses plus importantes.
Tous nous aimons la belle musique. Et même ceux adeptes du style boum-boum-boum, sont capables d’admirer la beauté des œuvres de Mozart ou de Beethoven. Or, je sais qu’il y a des gens qui, quand on leur montre une partition, peuvent, en lisant les notes, entendre immédiatement toute la symphonie dans leur tête. Vu mon histoire, vous vous doutez que ce n’est pas mon cas. Alors pour que je puisse entendre la mélodie, j’ai besoin d’interprètes, de virtuoses même, qui par leur talent propre (orgue, piano, violon, flute, voix) me feront entendre la beauté de la musique.
Frère et sœurs, les saints, ce sont justement des virtuoses de l’Evangile de Dieu qui nous font entendre sa présence dans nos vies, qui nous font voir le visage du Christ à travers les siècles. Cet évangile des Béatitudes que nous lisions il y un instant : comment saurions-nous ce qu’est la pauvreté évangélique sans saint François d’Assise ; ce qu’est le partage sans saint Martin ; soucis des affamés sans sainte Germaine de Pibrac ; volonté de sauver les pécheurs sans sainte Bernadette Soubirou, don total de soi sans saint Saturnin. Tous ces exemples, et tant d’autres, sont des notes qui nous font entendre la Symphonie de l’Amour de Dieu qui résonne à travers le temps et l’histoire.
Qui peux penser que les saints puissent faire concurrence à Dieu ? C’est comme si on voulait dire que l’artiste fait concurrence à l’œuvre qu’il interprète. Non, c’est à travers sa voix, son habilité que l’œuvre prend forme. C’est à travers la vie des saints, frères et sœurs, que l’évangile est incarné dans notre monde. Voilà pourquoi cette fête a une telle importance aux yeux de l’Eglise : comme une mère, elle est fière de ses enfants !
Maurice Zundel, un mystique contemporain, disait que « Nous ne pouvons être ému que par ce qui est vivant. Ce qui est mort ne nous touche pas ; et les plus beaux écrits sont souvent inertes et sans effet, s’ils ne sont restitués par une vie qui les rend actuels ».
Alors ne commettez pas dans vos vies la même erreur que moi dans mon apprentissage de la musique. Aujourd’hui je comprends que chaque note est nécessaire ; que chaque musicien est indispensable avec ses talents qu’il lui faudra perfectionner avec patience et persévérance. Je comprends que chaque homme, chacun de nous, est indispensable à Dieu pour faire entendre au monde déboussolé l’espérance du message de l’Evangile. Alors que les masques tombent et l’ignominie des attaques sauvages contre des innocents révèle le vrai visage du mal, alors que le matérialisme tente de confiner la foi au domaine du non essentiel, la sainteté doit s’imposer à chacun de nous comme l’ultime but de notre existence.
Cette fête de la Toussaint n’est pas pour nous une manière de commémorer les héros d’une histoire passée. Elle est une invitation à prendre la suite parce que telle est notre vocation. Aujourd’hui, à travers nous, Dieu veut manifester au monde son éternelle jeunesse et son inépuisable amour. N’ayons pas peur de l’aimer par dessus tout, comme les saints. N’ayons pas peur de désirer et vivre la sainteté même si on ne sera jamais parfait (quel saint l’était ?!). Ayons plutôt peur de ne servir à rien, de faire semblant d’être chrétiens, de gaspiller les talents de la foi reçus à notre Baptême. L’Amour de Dieu vaut le coup d’être vécu à fond : cette multitude de saints en est la plus belle preuve !
P. Bogdan Velyanyk, Curé de Saint-Sernin