« Pourquoi, Seigneur, ta colère s’enflammerait-elle contre ton peuple, que tu as fait sortir du pays d’Égypte par ta grande force et ta main puissante ? » Le dialogue entre Moïse et le Seigneur est des plus déconcertants. On a l’impression que c’est Moïse qui en connait plus que le Seigneur, qui a les idées plus larges et le cœur plus ouvert ! Comme si Moïse apprenait au Seigneur comment être un Dieu de miséricorde !
Pour se faire connaitre et pour se faire comprendre, le Dieu d’Israël n’a pas craint de prendre des chemins qui sont comme des jeux de rôle ! C’est là toute l’audace et le génie littéraire de la Bible ! Ici, le dialogue entre la colère et la miséricorde est joué par le Seigneur et par Moïse. Ici, le Seigneur et Moïse ont un dialogue qui vient instruire le peuple à la fois de la nature et des conséquences de ses actes, de la place de Moïse et de la bonté du Seigneur.
Si Dieu était en colère, c’est que les Hébreux l’avaient délaissé aussitôt sortis de l’oppression égyptienne. Témoins des hauts faits de Dieu qui les avait libérés d’Égypte, les Hébreux attribuent ces exploits à ce Veau d’or, un dieu qu’ils se sont fabriqués ; Ils ont échangé le vrai Dieu avec un dieu à leur idée, à leur petite mesure mais qui n’est que l’illusion d’eux-mêmes. Dieu fulmine de colère parce que le peuple se perd lui-même en se repliant sur lui-même.
Le péché est ici une ingratitude. Une incapacité à reconnaître ce que l’on a reçu du Seigneur, à dire merci. Le fils prodigue et le fils aîné sont incapables de recevoir autre chose de leur père que l’héritage, les biens du père sans le père, la succession due et jamais les dons. L’un comme l’autre considèrent plus tangibles leurs illusions de posséder un héritage que la générosité de leur père. L’un comme l’autre sont des ingrats.
Pour être dans la gratitude, il faut tout un chemin que le peuple fera dans le désert et que le fils prodigue fera dans son indigence. Un chemin que le fils aîné doit encore à parcourir. Mais ce chemin n’est possible que parce que le Seigneur est profondément un Dieu de miséricorde. L’intercession de Moïse est justement un acte de gratitude. En faisant mémoire de toute la révélation de Dieu à Israël, de ce que le Seigneur est, de ce qu’il a fait, de ce qu’il a promis, il exprime sa gratitude. Le fils prodigue découvre, en réfléchissant, qu’il avait cette connaissance de son père même s’il n’y avait pas fait attention auparavant.
Le Seigneur n’est pas miséricordieux parce que Moïse le Lui demande ; Moïse Lui demande d’être miséricordieux parce qu’il sait qu’Il est ainsi, que c’est son être profond. Jésus, à son tour, ne cessera de rappeler cette infinie miséricorde du Seigneur. Non seulement en parabole comme nous l’entendons aujourd’hui mais aussi en acte en pardonnant aux pécheurs, en les réintégrant pleinement dans le peuple de Dieu. La miséricorde trouvera son sommet au Calvaire lorsque Jésus sur la Croix intercèdera, tel Moïse, pour ceux qui l’auront crucifié. Puissions-nous ne jamais oublier que notre Dieu est d’abord un Dieu de miséricorde.
Que cette Eucharistie où Jésus dit toute sa gratitude à son Père nous apprenne à nous souvenir toujours de sa miséricorde maintenant et dans les siècles des siècles.